La banque s'est séparée de trois cadres qui avaient signalé des opérations douteuses au sein de la filiale monégasque.
Dans le bureau de leur avocate, les trois salariés du Crédit Mutuel n'en mènent pas large. En ce début d'été 2013, deux d'entre eux viennent de recevoir leur lettre de licenciement. Le troisième attend de passer en conseil de discipline de la banque. Officiellement, les deux premiers licenciements sont dus à une restructuration ayant entraîné la disparition de leur poste, et, pour le troisième, il s'agit d'un licenciement pour "faute lourde". Pour les trois cadres, qui souhaitent garder l’anonymat, le motif réel est tout autre: leur employeur leur reproche d'avoir dénoncé à leur hiérarchie des opérations douteuses sur des comptes bancaires. En gros, on leur reproche d'avoir été des "lanceurs d'alerte". "Il faut que le ministère de la justice dépose un projet de loi afin de protéger les "lanceurs d’alerte", fulmine leur avocate, Sophie Jonquet. Il n’est pas normal que les salariés qui ont le courage de signaler des actes douteux au sein de leur entreprise puissent être licenciés peu de temps après leur action, ils devraient bénéficier des mêmes garanties que les salariés protégés, syndicalistes ou délégués du personnel". Pour l'instant, il existe bien une loi protégeant les lanceurs d'alerte, mais uniquement en matière de santé publique et d'environnement.
Pour ces trois salariés, tout a commencé en décembre 2012 quand l'un d'eux, salarié de la banque Pasche à Monaco, filiale du Crédit Mutuel, découvre des opérations douteuses au sein de l'établissement bancaire. Il alerte le dirigeant de la filiale, lequel élude le problème. Tenace, le salarié va voir deux autres collègues pour leur demander ce qu'ils pensent des opérations en question. Réponse unanime: au mieux, elles sont "étranges".
Un rendez-vous tendu
Puisque l'alerte à la direction n'a servi à rien, les salariés veulent se couvrir juridiquement pour ne pas être inquiétés au cas où la justice serait saisie de ce dossier. Début 2013, ils vont alors voir une avocate, Sophie Jonquet, qui leur demande des éléments afin d'étayer le dossier. Les trois salariés les obtiennent en mars. L'avocate dispose alors de suffisamment d'éléments pour prendre sa plus belle plume et écrire au grand patron du Crédit Mutuel-CIC afin de lui demander un rendez-vous pour lui exposer la situation. La lettre a des conséquences miraculeuses puisque, en mai 2013, elle est reçue par le directeur juridique du groupe. Elle explique que ses clients veulent juste que la situation soit réglée au sein de la filiale monégasque, et notamment que les opérations sur les comptes douteux soient analysées et clarifiées. Le rendez-vous est tendu, il dure trois heures, mais, quelques jours après, le président du conseil d'administration de la Banque Pasche, Christophe Mazurier, descend en personne à Monaco pour faire le ménage.
Seulement voilà : malgré cette visite, les comptes douteux continuent à fonctionner. D'autre part, fin juin, deux des "lanceurs d'alerte" reçoivent une lettre de licenciement et, le 12 juillet, le troisième est convoqué à un conseil de discipline pour répondre d'une "faute lourde". Enfin le Crédit Mutuel-CIC vend en août l'encombrante banque Pasche Monaco au groupe Haviland -la vente sera effective le 1er novembre 2013. Le "ménage" semble fait, mais pas dans le sens espéré par les lanceurs d'alerte...
Un huissier fait enregistrer la conférence de presse
Le trio ne se laisse pas intimider et fait déposer le 4 juillet 2013 par ses avocats une "dénonce" (terme juridique pour "dénonciation") auprès du parquet général de Monaco. Parallèlement, une action est lancée en novembre au tribunal du travail de Monaco (équivalent monégasque des prud'hommes) pour licenciement abusif. Preuve que les choses bougent à Monaco en matière de transparence financière, le parquet monégasque ouvre une action judiciaire quelques semaines à peine après le dépôt de la "dénonce" et le juge d'instruction Pierre Kuentz est saisi du dossier.
L'histoire aurait pu continuer normalement, avec une instruction, un procès éventuel, un jugement de la justice monégasque et de son tribunal du travail, mais, le 9 avril dernier, alors que les avocats du trio organisent une conférence de presse pour faire le point sur le dossier, c'est la stupeur dans la salle. Un huissier se présente et tend à l'une des avocates du trio une ordonnance du tribunal de grande instance de Lyon l'autorisant à enregistrer la conférence de presse. Il pose alors tranquillement un dictaphone sur la table des conférenciers sous les yeux de l’assistance, médusée.
L'ordonnance indique également que les clients de l'huissier, la Banque Pasche Monaco, le Crédit Mutuel, et le CIC, co-demandeurs, se réservent la possibilité de porter plainte contre l'avocate pour "atteinte à la présomption d'innocence". Questions: pourquoi le Crédit Mutuel était-il co-demandeur de l'ordonnance puisqu'il n'est plus concerné par la banque Pasche de Monaco, dans la mesure où il ne la possède plus ?
Contacté par téléphone et courriel, le Crédit Mutuel n'a pas souhaité répondre.
Source : Challenges